Le 12 août 2023, 7 personnes de nationalité afghane décédaient au large de Sangatte après le naufrage de leur embarcation. Plus de deux ans plus tard se tiendra le procès de 10 personnes suspectées d’avoir organisé des traversées de la Manche dont 9 d’entre elles passeront devant le tribunal correctionnel de Paris du 4 au 18 novembre prochain. Elles sont poursuivies pour des faits d’aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers, d’homicides et blessures involontaires, de mise en danger d’autrui et d’association de malfaiteurs. Quelque soit le degré d’implication de ces personnes dans l’organisation de cette traversée, il s’agit d’un énième procès orchestré pour détourner le regard des politiques mortifères menées par la France et l’Europe depuis des décennies.
La militarisation massive ces dernières années de la frontière franco-britannique a conduit les personnes ayant besoin de rejoindre l’Angleterre malgré l’absence de visa à adapter leurs méthodes pour rejoindre la rive outre-Manche. Ainsi, les détecteurs de mouvements respiratoires et de battements cardiaques ainsi que les caméras thermiques qui inspectent chaque camion ont mené au développement de la traversée par bateau pneumatique depuis 2018 (154 354 arrivées irrégulières par petits bateaux depuis 2018). La surveillance s’est alors déplacée sur les plages et au-dessus de la mer avec l’utilisation massive de drones, hélicoptères, caméras, avions, quads sur les dunes…
Néanmoins, ces méthodes employées par la France et l’Angleterre ne sont pas parvenues à décourager les personnes de tenter les traversées. Ainsi, en 2024, 695 petits bateaux ont rejoint les côtes de l’Angleterre, soit 36 816 personnes. C’est 25% de plus qu’en 2023. En juin 2025, 19 982 personnes étaient déjà parvenues à Douvres en bateaux pneumatiques depuis le début de l’année selon les autorités anglaises.
Cependant, si les méthodes répressives ne parviennent pas à détourner les personnes de leur objectif, il est certain qu’elles ont abouti à l’augmentation des dangers souvent mortels. Ainsi, en 2024, au moins 89 personnes décédaient à la frontière tandis qu’au moins 38 personnes sont mortes entre janvier et septembre 2025. A ce jour, il n’existe pas encore de statistiques pour compter les conséquences dramatiques sur l’intégrité psychique et corporelle des victimes de cette frontière et des politiques qui y sont menées.
Le lien de ces drames avec les politiques criminalisantes et harcelantes est direct.
En effet, la présence sur les plages et sur les routes de dizaines de policiers et de militaires afin d’intercepter le matériel nautique et disperser les groupes incitent les organisateurs des traversées à préparer les bateaux dans des zones plus éloignées et à l’abri des regards. C’est la méthode communément appelée des “taxi-boat”. Ainsi, si un petit groupe de personnes parvient à faire parvenir du matériel sur le littoral de Dunkerque jusqu’à Dieppe, un autre groupe est chargé de remonter le bateau jusqu’aux côtes pour récupérer le reste des passager.ère.s. Les départs se faisant de plus en plus loin de Calais, les embarcations de fortunes devraient être mieux équipées et les réserves d’essence plus grandes. Cependant, la surveillance opérée sur les routes pour intercepter tout véhicule susceptible de transporter du matériel nautique à destination des lieux de départ implique l’utilisation d’équipements plus discrets : bateaux et moteurs plus petits,chambres à air noires pour remplacer les gilets de sauvetage oranges fluo…
Par ailleurs, une fois arrivé.e.s sur les plages où attendent les autres candidat.e.s à la traversée et afin d’éviter que le bateau soit crevé ou abîmé par les forces de l’ordre, les conducteur.ice.s maintiennent l’embarcation à plusieurs mètres ou dizaines de mètres de la plage. Les personnes sont alors contraint.e.s d’avancer dans l’eau parfois jusqu’aux épaules avant de se hisser dans le bateau.
Ainsi, chaque bateau intercepté ou crevé ne fait que retarder une tentative de traversée pour des passager.ère.s toujours plus fatigué.e.s, précariser le matériel employé afin de répondre à l’exigence de discrétion, accroître les tensions au moment des départs qui sont plus rares et potentiellement augmenter le prix des traversées demandées par les organisateurs forcés de répercuter le coût du matériel perdu. De nombreux témoignages rapportent des décès causés par la panique au moment des départs causés par la répression des forces de l’ordre à quelques mètres de l’embarcation ou par le manque et la précarité du matériel causé par les interceptions en amont.
Il est également évident que plus il devient difficile de quitter les côtes françaises en raison de la forte présence policière, plus les gens sont nombreux à s’entasser sur un bateau. Les bateaux surchargés sont présentés comme le résultat de l’avidité des passeurs, mais ils sont en réalité la conséquence logique de l’impossibilité croissante de partir en raison de la présence policière française : moins il y a de bateaux qui traversent la Manche, plus chacun d’entre eux doit transporter de personnes. Il en résulte parfois des naufrages, comme celui du 12 août 2023, lorsqu’un flotteur de bateau a explosé et que plusieurs personnes sont tombées à l’eau, sept d’entre elles n’ayant pas survécu.
Néanmoins, les discours politiques et la ligne de conduite des forces de l’ordre et des procureurs maintiennent l’attention vers les “passeurs”. Les tribunaux de Dunkerque et Boulogne-sur-Mer et dans une moindre mesure Lille ne connaissent pas une semaine sans une audience à l’encontre d’un.e conducteur.ice de véhicule en charge du transport du matériel ou de candidat.e.s au passage, d’une personne en charge de recruter des passager.ère.s, de collecter l’argent du coût du trajet… Ces personnes sont souvent arrêtées et condamnées en comparution immédiate et leurs téléphones sont confisqués pour servir aux enquêtes menées en parallèle par l’OLTIM (Office de lutte contre le trafic illicite de migrants) de Coquelles ou de Lille ou la JIRS (Juridiction interrégionale spécialisée) de Lille. Par ailleurs, à la suite de décès durant les tentatives de traversées dans les eaux ou sur les plages françaises, les survivant.e.s sont auditionnées et leurs téléphones sont exploités afin de servir aux instructions ouvertes par les procureurs. Le but est d’essayer d’interpeller un maximum d’individus impliqués dans l’organisation de la traversée.
Ainsi, le spectre des personnes arrêtées est de plus en plus large. Le collectif de Captain Support qui entend soutenir les personnes criminalisées durant leurs tentatives de traversées, constate que des poursuites sont également engagées contre des personnes suspectées d’avoir participé à la conduite des bateaux ou participé à la navigation par GPS. Pourtant, il s’agit de personnes qui ont pour ambition de traverser la Manche comme les autres passager.ère.s mais qui utilisent leur compétence de barreur pour ne pas à avoir à payer la traversée. Sur l’échelle des personnes investies dans l’organisation des traversées il s’agit donc des individus potentiellement les plus vulnérables, qui ne tirent aucun profit lucratif. Ainsi, le collectif a connaissance de neuf personnes arrêtées en France depuis 2021 suite à des décès en mer ou sur les plages et poursuivies pour des faits d’aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers, homicides ou blessures involontaires, mise en danger d’autrui et souvent avec le facteur aggravant de bande organisée. Par ailleurs, le collectif constate une nouvelle politique des Parquets de Boulogne-sur-Mer et de Dunkerque employée au moins depuis le printemps 2025 qui consiste à arrêter jusqu’aux potentiels barreurs y compris lorsqu’aucun drame n’est à déplorer. Ainsi, au moins quatre personnes ont été interpellées dans ces conditions : trois d’entre elles ont été relaxées mais seront jugées devant la Cour d’appel de Douai suite au recours interjeté par le Parquet de Boulogne-sur-Mer tandis que la quatrième personne a été condamnée au printemps à 6 mois de détention sans mandat de dépôt et à une interdiction de retour sur le territoire français de 5 ans avant d’être expulsée vers la Grèce.
Parmi les neuf personnes citées ci-dessus accusées d’être les “capitaines” de leurs embarcations, deux ont été interceptées suite au naufrage du 12 août 2023 et seront jugées du 4 au 18 novembre 2025. Ibrahim A. comparaîtra devant le tribunal correctionnel de Paris tandis qu’Ezekiel T. sera jugé devant le tribunal pour enfants, étant mineur à l’époque des faits. Les huit autres personnes jugées dans la même affaire sont suspectées d’avoir joué des rôles plus ou moins importants en amont de la mise à l’eau du bateau qui a fait naufrage deux ans plus tôt.
S’il est probable que le ministère public et les témoignages feront état de violences exercées par les organisateurs et de profits démesurés, il convient de rester lucide sur les causes réelles, directes et systématiques des drames. Les réseaux d’organisateurs qui se préparent dans la clandestinité à l’abri des regards des autorités et sous la pression des risques pénaux potentiels ne sont pas exempts de méthodes parfois violentes et d’objectifs lucratifs qui paraissent indécents. Néanmoins, non seulement les personnes poursuivies recouvrent une diversité de profils qui ne partagent pas toutes l’ambition lucrative et les méthodes violentes, mais de surcroît, toutes les personnes poursuivies répondent à un besoin essentiel : traverser des frontières pour trouver un endroit paisible où vivre. Ainsi, si le passage des frontières en bateau pneumatique nécessite une organisation préalable conséquente avec l’implication de plusieurs personnes, la traversée est encore et toujours tentée sans recours à des organisateurs-tiers comme avec le passage en camion. Pourtant, des drames sont ici aussi à déplorer : parmi les 89 personnes décédées l’année dernière au moins 5 sont mortes suite à un accident de la route, les autres étant majoritairement décédées dans les conditions décrites ci-dessus par noyade ou par asphyxie lié à des mouvements de panique dans les bateaux. Encore une fois, il n’y a pas de données sur le nombre de personnes blessées suite à des accidents de la route.
Ainsi, tant que les autorités ne feront pas face à une réalité de tout temps qui est celle de la nécessité de traverser les frontières en instaurant la liberté de circulation pour toustes, les personnes à la recherche d’asile continueront de traverser ces frontières et continueront de périr. Les procès à l’encontre des organisateurs quelque soit leur degré d’implication, ne sont que des diversions.
LIBERTÉ DE CIRCULATION POUR TOUS ET TOUTES
Contact : captainsupportfrance@riseup.net
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On 12 August 2023, seven Afghan nationals died off the coast of Sangatte after their boat sank. More than two years later, the trial of ten people suspected of organising crossings of the English Channel will take place, with nine of them appearing before the Paris Criminal Court from 4 to 18 November. They are being prosecuted for aiding illegal entry, movement or residence, manslaughter and unintentional injury, endangering others and criminal conspiracy. Regardless of the degree of involvement of these individuals in organising the crossing, this is yet another trial orchestrated to divert attention from the deadly policies pursued by France and Europe for decades.
The massive militarisation of the Franco-British border in recent years has led people who need to reach England despite not having a visa to adapt their methods of crossing the Channel. Thus, the development of respiratory and heartbeat detectors and thermal cameras that inspect every lorry has led to the development of crossings by inflatable boat since 2018 (154,354 irregular arrivals by small boats since 2018). Surveillance has therefore shifted to beaches and above the sea with the widespread use of drones, helicopters, cameras, aeroplanes, quad bikes on the dunes, etc.
However, these methods employed by France and England have not succeeded in discouraging people from attempting the crossings. In 2024, 695 small boats reached the coast of England, carrying 36,816 people. This is 25% more than in 2023. By June 2025, 19,982 people had already reached Dover in inflatable boats since the beginning of the year, according to the English authorities.
However, while repressive measures have failed to deter people from their goal, they have certainly led to an increase in often fatal dangers. In 2024, at least 89 people died at the border, while at least 38 people died between January and September 2025. To date, there are still no statistics available to quantify the dramatic consequences on the mental and physical well-being of the victims of this border and the policies implemented there.
There is a direct link between these tragedies and the criminalising and harassing policies.
Indeed, the presence of dozens of police officers and soldiers on the beaches and roads to intercept nautical equipment and disperse groups encourages the organisers of the crossings to prepare the boats in more remote areas, away from prying eyes. This is the method commonly known as ‘taxi-boats’. Thus, if a small group of people manages to get equipment from the coast of Dunkirk to Dieppe, another group is responsible for bringing the boat back to the coast to pick up the rest of the passengers. As departures are taking place further and further away from Calais, makeshift boats need to be better equipped and have larger fuel reserves. However, the surveillance carried out on the roads to intercept any vehicle likely to be transporting nautical equipment to the departure points means that more discreet equipment must be used: smaller boats and engines, black inner tubes to replace fluorescent orange life jackets, etc.
Furthermore, once they arrive at the beaches where the other candidates for the crossing are waiting, and in order to prevent the boat from being punctured or damaged by the police, the drivers keep the boat several metres or tens of metres away from the beach. People are then forced to wade through water that sometimes reaches their shoulders before climbing into the boat.
Thus, each boat that is intercepted or punctured only delays another attempt to cross for passengers. This leads to increasingly fatigued passengers, compromises the equipment used in order to meet the requirement for discretion, increases tensions at the time of departure, which are now less frequent, and potentially increases the price of crossings demanded by organisers who are forced to pass on the cost of lost equipment. Numerous testimonies report deaths caused by panic at the time of departure due to repression by the police a few metres from the boat or by the lack and precariousness of equipment caused by upstream interceptions.
It is also clear that the more difficult it becomes to leave the French coast due to the heavy police presence, the more people crowd onto a boat. Overloaded boats are presented as the result of the greed of smugglers, but they are in fact the logical consequence of the increasing impossibility of leaving due to the French police presence: the fewer boats crossing the Channel, the more people each of them has to carry. This sometimes results in shipwrecks, such as the one on 12 August 2023, when a boat float exploded and several people fell into the water, seven of whom did not survive.
Nevertheless, political discourse and the approach taken by law enforcement and prosecutors continue to focus attention on the ‘smugglers’. The courts in Dunkirk and Boulogne-sur-Mer, and to a lesser extent in Lille, do not go a week without hearing a case against a driver responsible for transporting equipment or candidates for the crossing, a person responsible for recruiting passengers, collecting money for the cost of the journey, etc. These individuals are often arrested and sentenced in summary proceedings, and their phones are confiscated for use in parallel investigations conducted by the OTLIM (Office for the Fight against Illegal Trafficking of Migrants) in Coquelles or Lille or the JIRS (Specialised Interregional Court) in Lille. Furthermore, following deaths during attempts to cross French waters or beaches, survivors are interviewed and their phones are examined to assist in investigations opened by prosecutors. The aim is to try to arrest as many individuals involved in organising the crossing as possible.
As a result, the spectrum of people arrested is becoming increasingly broad. The Captain Support collective, which aims to support people criminalised during their attempts to cross, notes that proceedings are also being brought against people suspected of having participated in steering the boats or navigating using GPS. However, these are people who, like the other passengers, want to cross the Channel but use their skills as helmsmen to avoid having to pay for the crossing. Among those involved in organising the crossings, these are therefore potentially the most vulnerable individuals, who derive no financial gain. The collective is aware of nine people who have been arrested in France since 2021 following deaths at sea or on beaches and prosecuted for aiding illegal entry, movement or residence, manslaughter or unintentional injury, endangering others and often with the aggravating factor of organised gang activity. Furthermore, the collective has noted a new policy adopted by the public prosecutors’ offices in Boulogne-sur-Mer and Dunkirk since at least spring 2025, which consists of arresting even potential helmsmen, even when no tragedy has occurred. At least four people have been arrested under these conditions: three of them have been acquitted but will be tried before the Douai Court of Appeal following an appeal lodged by the Boulogne-sur-Mer Public Prosecutor’s Office -sur-Mer, while the fourth person was sentenced in the spring to six months’ detention without a warrant and a five-year ban on returning to French territory before being deported to Greece.
Of the nine people mentioned above accused of being the ‘captains’ of their boats, two were intercepted following the shipwreck on 12 August 2023 and will be tried from 4 to 18 November 2025. Ibrahim A. will appear before the Paris Criminal Court, while Ezekiel T. will be tried before the Juvenile Court, as he was a minor at the time of the events. The eight other people on trial in the same case are suspected of having played roles of varying importance in the run-up to the launch of the boat that sank two years earlier.
While it is likely that the prosecution and witness statements will refer to violence perpetrated by the organisers and excessive profits, it is important to remain clear-headed about the real, direct and systematic causes of these tragedies. The networks of organisers who prepare in secret, away from the eyes of the authorities and under the pressure of potential criminal risks, are not immune to sometimes violent methods and lucrative objectives that seem indecent. Nevertheless, not only do the individuals prosecuted come from a variety of backgrounds and not all share the same lucrative ambitions and violent methods, but above all, they are all responding to a basic need: to cross borders in search of a peaceful place to live. Thus, while crossing borders by inflatable boat requires considerable advance organisation involving several people, the crossing is still attempted without the help of third-party organisers, as is the case with truck crossings. However, tragedies are also to be deplored here: of the 89 people who died last year, at least five died as a result of road accidents, with the majority of the others dying in the circumstances described above, by drowning or asphyxiation linked to panic on the boats. Once again, there is no data on the number of people injured in road accidents.
Therefore, until the authorities face up to the long-standing reality of the need to cross borders by establishing freedom of movement for all, people seeking asylum will continue to cross these borders and continue to perish. Prosecutions against organisers, regardless of their level of involvement, are merely a distraction.
FREEDOM OF MOVEMENT FOR ALL
Contact: captainsupportfrance@riseup.net

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